Blog de la folie ordinaire



mardi 15 juin 2010

Les Alévis, des croyants en quête de laïcité

Ils s'inspirent du Coran mais ne respectent pas les cinq piliers de l'Islam. Ils vénèrent Ali, oncle du prophète Mahomet, également adoré par les chiites en tant que premier Imam. Ils sont Alévis et représentent au moins un quart de la population turque. A Maltape, chaque jeudi, tous se retrouvent à la Cem Evi, la salle de prière alévie.


Sur les hauteurs de Maltape, quartier de la rive asiatique, un bâtiment se détache. En cette fin d’après-midi, l’agitation est grande autour de la Cem Evi, littéralement « les lieux où l'on est ensemble ». La salle de prière est ronde. Douze piliers la soutiennent. Un pour chaque imam. Sur chaque mur, dans chaque couloir, le portrait d’Ali est présent. Un Ali qui ressemble à un Christ dans un style quelque peu naïf et sans grand génie que l'on retrouve dans l’imagerie des mosquées chiites. Dans un pays largement sunnite, il est rare de trouver ce genre de lieu. En Iran, pays chiite, ils sont beaucoup plus fréquents. Mais ici, pas de tchador ni de voile islamique. Les cheveux sont lâches. Et le regard des femmes est fier. Pendant la prière, hommes et femmes sont côte à côte. Ils dansent et chantent ensemble. Parmi eux, Maria, s’est glissée au fond de la salle. Cette grand-mère qui frise les 80 printemps porte le voile des paysannes. Un voile culturel et traditionnel qui n'a pas la même signification que le voile religieux.



Vingt à trente pour cent des turcs ne pratiquent pas l'Islam sunnite, dont ils apprennent pourtant les préceptes dans les écoles. Ils s'inspirent du Coran mais ne prient pas cinq fois par jour et ne vont pas en pèlerinage à la Mecque. Leur ramadan se limite aux douze jours de Muharrem. Ils n'ont ni Imam, ni école coranique, mais des de-de, sorte de maîtres spirituels qui transmettent les traditions et les croyances de la communauté. La consommation d'alcool n'est pas prohibée. Les cinq prières quotidiennes sont remplacées par une unique prière, hebdomadaire. Religion à part entière, branche de l'islam ou simple philosophie de vie? La nature de l'Alévisme fait débat au sein même de la communauté et n'a jamais vraiment été tranchée. Certains se disent même athées.



Un syncrétisme longtemps réprimé
La tradition Alévie, largement répandue en Anatolie, se transmet de père en fils depuis plus d'un millénaire. Issu du chiisme, l'alévisme mêle des éléments spirituels et rituels chrétiens et chamaniques (culte des pierres, de l'eau et des arbres). Un syncrétisme qui se marie mal avec le sunnisme dominant. Deuxième communauté de croyants en Turquie, les Alévis ont toujours été en conflit avec l'Etat, même s’ils ont parfois constitué son élite. Les janissaires, le corps d’élite de l’armée ottomane, étaient composés de jeunes chrétiens fait prisonniers dans les Balkans et convertis à l’islam. Ils retrouvaient des principes proches de leur religion d’origine dans l’alévisme ou le Becktachisme, un mouvement fondé au XIIIème siècle par Haci Bektash et très proche de l'alévisme.
Longtemps considérés comme des hérétiques, les Alévis ont connu la répression et les massacres jusqu'au milieu du XXème siècle. La pratique clandestine de leur rituel a alimenté les fantasmes les plus sordides. « Quand on priait, on avait peur, quelqu'un faisait le guet » se souvient Maria, originaire d'un village du Sud-Est, qu'elle a quitté en 1977 pour fuir la répression. A son arrivée à Istanbul, la chape de plomb s'est desserrée: «A ce moment là, on se retrouvait tous pour prier à la maison du De-de ».



A partir des années 1980, de nombreux Alévis sont sortis de l'ombre pour imposer leur existence et leurs revendications sur la place publique. Quelques années plus tard, en 1992, Izzetim Dogan, a fondé la Cem Vakf, devenue la plus importante association alévie de Turquie. « Les Alévis ne sont pas une minorité! A l'origine, ils étaient même les plus nombreux. Beaucoup se sont convertis, d'autres ont été tués. Mais aujourd'hui nous voulons vivre dans un Etat véritablement laïc!». Les premiers signes d'ouverture sont apparus après la guerre d'indépendance de 1922. Au fil des ans, l'Etat turc s'est montré plus tolérant. « Aucun parti ne peut se passer du vote de 25 millions de personnes » ironise Izzetim Dogan. Et à Maltape, comme dans beaucoup de municipalités, les pouvoirs publics tolèrent désormais la présence des Cem Evi. Pour Hasan Harabat, le de-de du quartier, ce n'est pas suffisant. « Le gouvernement verse un salaire aux imams. Nous, nous devons encore payer nos factures d'eau et d'électricité. Maintenant, nous vivons notre religion librement mais l'égalité et la laïcité sont un leurre ». Terreau électoral de la gauche, ils demandent une application à la lettre de l'égalité et de la laïcité inscrites dans la Constitution.



Des prières en chants et en danses
La prière commence à la Cem Evi. Au dernier rang, les femmes les plus âgées ont préféré les chaises en plastique pour affronter les trois longues heures de rituel. Parmi elles, Maria, qui semble déjà ailleurs. Au centre, sur les coussins disposés en cercles, les enfants s'agitent avant de retrouver les genoux de leurs mères assises en tailleur. L'atmosphère est familiale. Avant la cérémonie, les femmes ont enfilé de longues jupes et noué des voiles colorés sur leurs cheveux détachés. Les jeunes hommes qui discutaient de football avant les prières ont rejoint les vieillards. Hommes et femmes prient ensemble, en chantant les dayis. Et dansent ensemble. Au rythme du baglama ou saaz, un instrument proche du luth venu d'Anatolie, ils réalisent le sema, une ronde censée mettre ses participants dans un état de transe.

Au fond de la salle les deux De-de jouent les maîtres de cérémonie. Derrière eux, trois portraits trônent : Ali au centre, Haci Bektash, et Mustafa Kemal Atatürk, le père d'une République qui se veut laïque et qui fit des alévis des citoyens comme les autres, au moins sur le papier. Mais la peur reste. Le souvenir des massacres de Sivas, où 37 intellectuels alévis sont morts le 2 juillet 1993 est encore dans toutes les têtes.




Une communauté nationaliste et féministe?
L'alévisme est un syncrétisme musulman qui plonge ses racines dans les religions traditionnelles des peuples turcs. Ils se distinguent notamment de l'Islam dominant par une conception des rapports hommes-femmes très particulière. «Ce qui montre l'avancement de la démocratie, c'est la place de la femme dans la société, estime Izzetim Dogan. Chez les Alévis, les hommes et les femmes ont toujours été égaux. La femme joue même un rôle dominant ». Une posture moderne dans un pays gouverné par un parti islamo-conservateur. « Nous n'avons pas de règles strictes. On est très libres, les hommes autant que les femmes » explique un De-de. L'alévisme est avant tout centré sur l'homme. « Ma pierre noire c'est l'homme » disait un grand poète alévi évoquant l'objet le plus sacré des musulmans, la pierre noire de la Mecque. Lorsqu'un homme meurt, c'est l'ainé, même si c'est une fille, qui prend la relève. Une conception égalitaire qui a toutefois ses limites: quand une femme alévie se marie avec un sunnite, sa famille rechigne à la laisser partir, craignant qu'elle n'hypothèque ainsi sa liberté. « Dans un verset du Coran, il est dit que le paradis est sous les pieds des mères », sourit Izzetim Dogan.

(Article réalisé avec Aurélie Darbouret)

lundi 14 juin 2010

Minorités : grandeur et décadences



Expropriations foncières ou discriminations à l’emploi. Malgré un statut théoriquement protecteur et une présence millénaire en Turquie, les minorités sont considérées comme des « citoyens de seconde zone ». Une situation qui tend à s’améliorer.


C’est avec un sourire enfantin que Dany Kohen, étudiant juif, la vingtaine, se rappelle ses camps d'été. Cours d’hébreu, lecture de la Torah, mais surtout « beaucoup de nouveaux amis gagnés à la fin de l’été ». Sorte de kibboutz ou de « summer camp » à la turque, ce voyage initiatique qu’effectuent au moins une fois tous les jeunes juifs stambouliotes permet de souder la communauté. Ils étaient près de 120 000 au début du siècle, ils ne sont plus que 23 000 aujourd’hui. Mais ils ne sont pas les seuls à avoir vu leurs effectifs diminuer comme peau de chagrin. Réduits à 3 000 âmes aujourd’hui en Turquie, les Grecs orthodoxes essayent, eux aussi, de préserver les vestiges d’une grandeur passée. Mihail Vassiliadis, rédacteur en chef et unique employé du quotidien Apoyevmatini, s’efforce de ne pas traduire en turc son journal « pour que la langue grecque continue de vivre chez les jeunes générations ». Bien que plus importante (60 000 personnes) et plus médiatisée, la communauté arménienne est elle aussi en déclin dans la Turquie du XXIème siècle. Luiz Bakar, porte-parole du patriarcat arménien déplore que même ses petits-fils ne maîtrisent pas sa langue d’origine.


"Citoyen de seconde zone"
Ces trois communautés ne partagent pas qu’un sentiment de déliquescence. Elles jouissent aussi du même régime juridique. A l’instar du modèle jacobin français qu'elle a adopté, la Turquie ne reconnaît pas ses minorités. Sur les 46 présentes dans le pays, seules ces trois communautés historiques non-musulmanes ont reçu le statut de « minorités » lors de la signature du Traité de Lausanne en 1923. Celui-ci prévoit, en plus d'une citoyenneté à part entière, une autonomie de leur organisation religieuse et de leurs écoles. En théorie... Car en pratique, l’application de ce traité, presque centenaire, a toujours laissé à désirer. Métiers interdits dans les années 1930, impôts plus élevés que pour les musulmans en 1942, tracasseries administratives et postes de pouvoir inaccessibles encore aujourd'hui,... les exemples abondent. Ahmet Insel, politologue spécialiste des minorités, va jusqu’à évoquer des « citoyens de seconde classe ». Prises en étau entre un nationalisme agressif et un islam omniprésent, les minorités souffrent d'être considérées « comme des étrangers, voire comme des ennemis de l'intérieur ». Et pour preuve, c'est au ministère des affaires étrangères qu'atterrissent bien souvent leurs doléances.
Dès 1923, la « Turquisation » de la République mise en place par Atatürk a impliqué le retour dans le giron de l’Etat des richesses des non-musulmans, quitte à recourir à des procédés saugrenus. « Dans les années 1930, l'Etat turc a utilisé un subterfuge juridique pour récupérer des églises enregistrées sous des noms de Saints, explique Emre Okten, professeur de droit à l'université de Galatasaray. L'archange Gabriel, la vierge Marie ont été déclarés morts et sans héritier par les avocats du Trésor et leurs biens sont passés aux mains de l'Etat. » La pratique a duré une décennie avant que des parlementaires ne dénoncent le montage juridique. Mais les confiscations n'ont pas cessé.


Un des cas les plus emblématiques de ce processus de spoliation est celui de l'orphelinat grec qui agonise depuis trente ans au sommet de Büyük Ada, la plus grande des îles des Princes. Situé au milieu d'une forêt, le bâtiment a été récupéré en 1971 par l'Etat sous prétexte qu'il ne respectait pas les normes anti-incendie. Depuis, le monastère Saint-George se bat pour sa restitution alors que l'Etat laisse le bâtiment se détériorer.
Aux monastères et aux églises, se sont ajoutés de simples immeubles locatifs, principale source de revenus pour les fondations des minorités. « Lorsqu'une vieille dame décède, elle lègue souvent son appartement à une église ou un hôpital de la communauté, raconte Luiz Bakar. Avec les loyers, les fondations religieuses financent les salaires de leurs professeurs ou de leurs médecins ».


Flou juridique
Depuis une loi de 1936, l'Etat turc s'est approprié des milliers d'écoles, de logements, d'hôpitaux ou d'églises. Il a profité d'un flou juridique sur le statut des fondations en arguant qu'elles n'avaient pas le droit d'acquérir ou de recevoir en donation du patrimoine immobilier. « En 1974, la Cour de Cassation a entériné la confiscation des biens en stipulant que « les personnalités morales étrangères », c'est le terme utilisé, ne pouvaient pas acquérir de biens, explique Emre Okten. Il y a l'assimilation du non musulman avec l'étranger ». Cet arrêt de la Cour de Cassation a entraîné des pertes immenses. Pour les Grecs, 35% de leur patrimoine a été confisqué depuis le début du 20ème siècle. Quant aux Arméniens, ils se battent pour la restitution d'une soixantaine d'immeubles stambouliotes. Mais face à ces spoliations, l'union n'a pas toujours été de mise. Les Juifs, qui s'estiment moins lésés, refusent de faire front commun avec les Chrétiens. Silvio Ovadia, ancien président de la communauté juive de Turquie, justifie cette position de retrait par « la loyauté historique de sa communauté à l'Etat turc ».


Moins revendicative, la minorité juive se réjouit pourtant comme les autres d'une décision de la Cour Européenne des Droits de l'Homme de 2005. Un arrêt qui autorise les communautés arménienne et grecque à récupérer deux bâtiments spoliés. Depuis cette date, le cas fait jurisprudence et a, par exemple, permis à la communauté arménienne de récupérer cinq immeubles à Istanbul. En 2008, le Parlement turc adopte une loi sur les fondations religieuses qui leur accorde des droits plus larges dont celui d'acquérir, de vendre et d'échanger des biens immobiliers. Une loi « satisfaisante mais pas assez » considère Fethiye çetin, une avocate qui défend les institutions arméniennes. Car entre une décision de la CEDH et son application par Ankara, le temps passe... et laisse son empreinte sur les bâtiments. A l'image de l'orphelinat grec de Büyük Ada qui se détériore de jour en jour. Comme l'explique Emre Okten, « l'administration fait de son mieux pour retarder l'application de ces arrêts mais il n'y aura pas d'échappatoire. » Avec l'intégration européenne en ligne de mire, la Turquie doit mettre de l'eau dans son raki. En acceptant l'influence des fondations communautaires, c'est l'existence même des minorités religieuses que l'Etat turc doit envisager.


Précisions du cordonnier


Juifs : Environ 23 000 en Turquie (dont 20 000 à Istanbul), ils étaient 120 000 en 1923. Ils parlent turc, français et judéo-espagnol pour les plus âgés. Un héritage de leur origine géographique : après avoir été chassés d’Espagne et du Portugal à la fin du XVème siècle lors des inquisitions, ils sont accueillis par l’Empire ottoman.


Grecs : Environ 3 000 en Turquie, ils étaient 110 000 en 1960. Ils parlent turc et grec. Cette communauté chrétienne est la première à arriver à Byzance, en 685 avant J-C.

Arméniens : Environ 100 000 en Turquie (dont 70 000 à Istanbul), ils étaient deux millions au début du siècle. Ils parlent turc et arménien. Ces chrétiens sont présents dans l’empire ottoman depuis plus de deux millénaires.


1923: le Traité de Lausanne, acte fondateur de la République turque, accorde des droits protecteurs aux minorités grecque, juive et arménienne

1936: Les fondations des minorités religieuses dressent une liste exhaustive de leur patrimoine. Après cela, elles ne pourront plus

1974: Un arrêt de la Cour de Cassation entérine la confiscation des biens des minorités par la Direction générale des fondations de Turquie.

2005: la Cour Européenne des Droits de l'Homme condamne la Turquie et l'oblige à restituer les biens spoliés

2008: Une nouvelle loi permet aux fondations de jouir pleinement de leur droit de propriété.
(Article réalisé avec Aurélie Darbouret)

samedi 29 mai 2010

« En Turquie, le journalisme n'a plus de goût ».


Rusen Cakir est un ponte du journalisme turc. Diplômé du Lycée Galatasaray, il commence sa carrière à la revue Nokta. Après un passage à CNN Türk, il intègre la rédaction de NTV, première chaîne d'information, en juin 2007. Tous les jours à 11h10, il présente une émission politique avec Mirgün Cabas. Les deux journalistes décriptent l'actualité nationale et internationale. Il nous livre son avis sur l'état du journalisme et de la télévision en Turquie.


Le journalisme est-il complètement libre en Turquie ?


Il y a une grande richesse d’opinions en Turquie. Il y a des journalistes courageux. Mais la prudence reste de mise. L’auto censure dans les médias persiste. La télévision est liée au business et à la publicité. C’est difficile de trouver un titre ou une chaine qui n'est pas engagé. Il n’y a pratiquement que de la presse d’opinion en Turquie. Tout peut être dit. Mais dans des titres bien spécifiques.


Est il facile de critiquer le gouvernement a la télévision ?


Ca dépend des sujets. Pour les médias en général c’est difficle de critiquer les gouvernements. Pas seulement le gouvernement actuel. Les patrons de médias ont tous des affaires commerciales. Ils doivent être en contact avec le gouvernement. (NTV a été rachetée en 1999 par Doğuş Holding, entrprise turque présente dans différents secteurs comme la finance, la construction, le tourisme,... )Si vous êtes critique, il est difficile de décrocher des contrats. Les bons contacts avec le gouvernement sont donc bénéfiques pour les « affaires extérieures » des groupes de médias.


Est ce dangereux ?


Oui, bien sur! C’est difficile pour un journaliste turc d’être objectif et critique. C’est difficile mais pas impossible.


Existe-t-il encore des sujets tabous à la télévision turque ?


Il y en avait beaucoup. Mais au fur et à mesure que la Turquie s’est démocratisée, le nombre de tabou et leur poids ont diminué. Par exemple, on peut désormais parler de la question kurde. Chose impossible il y a quelques années. Il reste cependant des lignes rouges difficiles à franchir comme ce scandale de pédophilie à Siirt, dans le Sud-Est de la Turquie. Le gouvernement n’aime pas que les médias couvrent ce genre d’événement car c’est très choquant. Pendant deux ans personne n’en parlait et ça continuait.


Quel est votre avis sur l’avenir de votre métier ?


(Moue dubitative) Tout est fini. Il n’y a plus de journalisme en Turquie. Quand les jeunes viennent me demander des conseils, je leur conseille de ne pas devenir journaliste et de rester à l’université et de continuer les sciences sociales. Dans le journalisme, tout est au plus bas : les salaires, la crédibilité, les relations entre journalistes.


Pourquoi ?


A cause des patrons qui tiennent les groupes de médias, du manque de syndicats efficaces. Les facultés de journalisme ne fonctionnent pas très bien. Il n'y a pas de conscience d'être journaliste. En Turquie, le journalisme est un secteur qui grandit. Mais comme un légume dopé aux hormones, il grossit et n’a plus de goût.


lundi 3 mai 2010

Première commémoration du génocide arménien à Istanbul

Pour la première fois, samedi 24 avril, sur la principale place d’Istanbul, un hommage a été rendu aux Arméniens massacrés en 1915. Le recueillement a eu lieu grâce à la protection des forces de l’ordre. Un événement inédit en Turquie où l’on récuse l’idée de génocide.

En cette fin d’après-midi, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées quatre-vingt-quinze ans après la rafle de 200 intellectuels, prélude au massacre d’un million et demi d’Arméniens. Un tabou national, alors que la thèse officielle reconnaît la mort de 300 000 à 500 000 Arméniens entre 1915 et 1917.

Artistes, intellectuels, citoyens de tous âges, ils ont répondu à l’appel lancé par la section stambouliote de l’Organisation des droits de l’homme. Sur la place de Taksim, au cœur d’Istanbul, ils se sont assis à même le sol, la plupart vêtus de noir, tenant un œillet rouge ou une bougie dans leur main. En silence, ils se sont recueillis plus d’une demi-heure autour d’une plaque noir qui portait l’inscription : « Cette douleur est notre douleur, ce deuil est notre deuil à tous », avant d’écouter des enregistrements en arménien. Zeynep Tanbay, célèbre danseuse d’origine arménienne, a ensuite lu un texte en hommage aux personnes disparues.

« En 1915, quand notre population était encore 13 millions, 1,5 – 2 millions d’Arméniens habitaient ces terres. [...] Le 24 Avril 1915, ils ont commencé à “être renvoyés”. On les a perdus. Ils ne sont plus. La plupart d’entre eux ne sont plus parmi nous. Ils n’ont même pas de tombes. “La Grande Peine” que la “Grande Catastrophe” (trad. : Médz Yeghern) nous impose sur la conscience ne cesse de grandir depuis quatre-vingt-quinze ans. »




Et pendant que ces paroles résonnaient, les visages, graves et figés, traduisaient l’intensité de cette manifestation. Un émoi accentué par le caractère exceptionnel de la commémoration : « On était un peu stressé durant la prière avec tous ces policiers et les cris des nationalistes, explique un photographe kurde qui s’était joint aux manifestants par sympathie. On était au milieu, à visage découvert, on pensait forcément à Hrant Dink », le journaliste du quotidien bilingue turco-arménien Agos, assassiné en 2007.

Pour éviter que la manifestation ne dégénère, un important dispositif de sécurité a été déployé. Plusieurs cordons de policiers, en civil ou en tenue anti-émeute, protégeaient les manifestants, fouillés avant d’accéder au lieu de recueillement. D’ailleurs les provocateurs n’ont pas manqué à l’appel : une petite centaine de militants d’extrême droite, arborant des drapeaux nationalistes, sont venus briser le silence ambiant.

La tension est montée durant quelques minutes entre les deux camps. « Kurdes, Turcs, Arméniens. Épaule contre épaule face au fascisme » ont répliqué quelques manifestants arméniens. Les plus échaudés ont été ramenés au calme par leurs pairs, tandis que la police maintenait à distance les contre-manifestants, au discours virulent.

Le recueillement s’est achevé par des applaudissements alors que les œillets, lancés dans les airs, venaient recouvrir la plaque noire. Le cortège a ensuite pris la direction de l’avenue Istiqlal avant de se disperser dans la foule très dense ce week-end.

Pour les milliers de badauds qui arpentaient l’avenue ce soir là, cet hommage public touchait à un sujet dérangeant. Les manifestants soutenaient une version de l’histoire bien éloignée de celle enseignée dans les écoles turques.


Texte de Aurélie Darbouret et Sarah Lefèvre

lundi 15 mars 2010

Ambiance de QG : Ch'tristoune

Un bar à moitié vide en face de la gare de Lille, à peine une dizaine de sympathisants dans le vieux troquet « Le lion belge » pour regarder les résultats de la liste Ch’ti. Malgré les tentatives répétées de chacun, impossible de rallier à l’antenne la grosse télé ramenée par une militante. Difficile de regarder les résultats. La neige à l’écran, les images en noir et blanc, et le son grésillant, assourdissant.

Polémique : pas de bulletin de la liste ch’tis à Mons-en-Baroeul


François Dubout, tête de liste des Ch’tis.

Ce matin, dans les bureaux de vote de la commune de Mons-en-Baroeul, les électeurs n’ont pas pu glisser de bulletin de la liste ch’ti dans leurs enveloppes. Pendant près de quatre heures, aucun bulletin de cette liste sur les tables. Où sont passés les 10.000 bulletins de vote qui devaient s’y trouver ?

En fin d’après-midi, la préfecture du Nord et la mairie de Mons, 23 000 habitants, se rejetaient la faute.

François Dubout, tête de liste des Ch’tis :

« C’est grave de ne pas pouvoir faire confiance aux instances de la République pour une chose si simple. Il se trouve que c’est ma liste qui a été pénalisée, mais si cela avait été une autre liste, je m’en serais autant indigné. Cela pose un véritable problème moral et démocratique. »


C’est Rachid Azrou, trésorier de la mosquée de Mons-en-Baroeul, qui a le premier sonné l’alerte :

« Vers 10 heures ce matin, je suis allé dans mon bureau de vote de quartier, et là, quelle surprise, pas de bulletin de la liste pour laquelle je comptais voter. »

Ami de longue date du bras droit de François Dubout, il lui a immédiatement téléphoné pour le prévenir. « Cela pose problème que ce soit un de nos amis qui nous prévienne et pas les gens de la mairie qui sont arrivés à huit heures sur les lieux et n’ont rien dit à personne », déplore François Dubout.

À midi, tous les bureaux avaient été approvisionnés. « Nous avons tout de suite mis à disposition de nouveaux bulletins tirés du stock supplémentaire que nous avons », explique la préfecture.

Préfecture contre ville de Mons-en-Baroeul

Reste à savoir pourquoi ces bulletins ne sont pas arrivés sur les tables et où sont passés les 10 000 bulletins qui se sont envolés. Préfecture et commune se rejettent les fautes. « Nous avons mis à la disposition des communes les bulletins de vote depuis mercredi dernier. Nulle part ailleurs il n’y a eu de problème », explique la préfecture.

De son côté, le maire de Mons, Rudy Elegeest estime « qu’il y a manifestement un problème de traçabilité et peut-être de fragilité dans les modalités de remises des bulletins aux services municipaux ».

Pour la liste ch’ti, les réponses ne sont pas seulement à chercher du côté de la logistique. Pour eux, Mons-en-Baroeul est un endroit stratégique : « On a trop de bons amis à Mons. » Ce qui, selon lui, aurait conduit de nombreux électeurs à voter pour sa liste.