Blog de la folie ordinaire



mardi 23 février 2010

Chat Roulette ou le paroxysme de la solitude


De « Chat roulette » tapé dans Google au grand plongeon dans ce nouveau bassin sans fond, une poignée de secondes. Trois clics. Accès au site, avertissement aux « personnes de moins de 16 ans », saut dans le vide. La webcam s'enclenche. Un visage mal rasé apparaît. Un visage qui porte encore les stigmates d'une soirée terminée un peu trop tard. Ou un peu trop tôt. Cernes creusées, bouche pâteuse, haleine douteuse, c'est bien moi.

Sur Chat Roulette, il faut se pomponner. La crédibilité se joue en une seconde, en une image. Alors il faut s'arranger, se recoiffer, se maquiller, se déguiser, s'habiller ou se déshabiller. Paraître, à défaut d'être.

Première pression un peu fébrile sur le bouton F9, sorte de gâchette de la Chat Roulette. La première d'une longue série. La bouton F9 permet de passer d'une webcam à l'autre, de se débarrasser d'un interlocuteur pour en trouver immédiatement un autre. Rencontres Kleenex.

Stranger n°1 :

Un groupe d'adolescent hilares. Trois garçons et une fille. A la vue de leurs visages, leur précédent « partner » a du les amuser. Ou tout du moins les marquer. Rire franc des trois garçons, expression plus réservée de la fille. Elle a la tête de quelqu'un qui rigole parce que les autres rigolent. Rire jaune. Le challenge est relevé. Il s'agit d'attirer leur attention. Pas si facile pour une première fois. Je lève la main, timidement. Mes interlocuteurs d'un moment se figent, me scrutent, m'observent. Ils semblent perplexes. Les mouvements sont saccadés. Les images floues. Magie de la webcam. Le sourcil en l'air, l'un d'eux parle. Il me montre du doigt et éclate de rire. On se fout de ma gueule. Royalement. Mon visage se ferme. La surprise et l'incompréhension s'emparent de mon visage. Et donc de mon image. F9. Next. Je n'ai pas du être assez original. Qu'à cela ne tienne, je me relance avec la volonté de marquer le coup. Lunettes de soleil, cheveux détachés. Le tout pour le tout. Au royaume du paraître, le ridicule ne tue pas. Il permet même parfois d'être roi.

Stranger n°2 :

Un phallus turgescent. Assez impressionnant. Modèle épilé. Quelques poils pubiens persistent. Ticket de métro version homme. So fashion...! Pour accompagner le tout, une main plus que baladeuse. La surprise doit se lire sur mon visage innocent. A la vue de mon regard poupon quelque peu impressionné par tant de spontanéité, le mouvement de poignet de mon palucheur confirmé se fait plus rapide. Cette fois, c'est moi qui appuie sur F9. Première fierté.

Stranger n°3 :

Un jeune homme. Il n'est pas nu. Sa webcam porte sur son visage et non sur une partie plus privée de son anatomie. Chapeau, clope au bec, il a l'air plutôt cool. Premier interlocuteur sérieux? J'ose y croire. On se jauge, on s'observe. Rite de la fierté masculine. Qui a la plus grosse? Après mon Stranger n°2, je ne veux pas le savoir. La discussion s'engage. « Hi! » (oui, le chat rouletteur est anglophone, of course..!). « I'm Rémi, from France, I'm writting an article on Chat Roulette. » L'intérêt de mon « partner » est palpable. Il se rapproche du clavier, l'air interloqué. Il lève les yeux au ciel, semble hésiter à me répondre. « Hi..! I'm Jeff, from Houston, Texas ». Ouf..! Il y a donc des personnes sensées ici. Et des Texans en plus...! Il vient sur Chat Roulette « to have fun » et surtout parce qu'il « s'emmerde », en français dans le texte. Oui, « Jeff from Houston, Texas » connaît un peu la France et ses bons mots. Je lui fait part de mon expérience mémorable de mon Stranger n°2. Les « bigs dicks », il connaît. Elles sont nombreuses à se balader sur Chat Roulette. Il n'a pas l'air d'y porter une grande attention. Ça serait presque normal dans cet univers étrange où voyeurisme et exhibitionnisme se retrouvent. Les filles? Elles sont rares, selon « Jeff from Houston, Texas ». Souvent accompagnées, timides, elles sont adeptes du F9 éclair. Rapidement; la conversation devient pauvre. De banalités en banalités, on frise le soporifisme. La main gauche tient lieu d'oreiller, la droite frappe sur les touches du clavier. Je laisse « Jeff from Houston, Texas » pour de nouvelles rencontres éphémères. F9. Grossière erreur.

Stranger n°4 :

Une femme. Jeune, plutôt jolie mais le regard un peu perdu. La frange à la mode. Le maquillage à la truelle à la mode. La pause lascive à la mode. Les ongles vernis à la mode. Le manque de charme à la mode. Une coupe de champagne trop chaud. Pas de bulles. Le pouvoir de l'image. Le sourire est crispé, forcé. Je tente d'engager la conversation. A peine a-t-elle remarqué que je tape sur mon clavier qu'elle me « next ». J'aurai du le faire avant elle.

Stranger n°5 :

Une autre femme. Beaucoup plus jolie. Déjà effeuillée, elle se dandine, fort joliment. Les bulles sont bien présentes. Il me faudra quelques secondes, quelques sourires dans le vide et quelques questions sans réponses pour me rendre compte que j'ai à faire à un film et non pas une fille en ligne. Déception chat roulettienne. F9.

Stranger n°6 :

Tiens, un autre phallus. Ça faisait longtemps. Celui là est plutôt rabougris. Les poils sont bien présents. A vue de nez, il doit avoir entre 35 et 50 ans. Notre astiquateur a l'air bien motivé mais son membre semble fatigué. On peut apercevoir une partie de l'appartement derrière le lit de notre phallus. Lumière allumé, il semble à l'aise. Pas peur d'être dérangé. La télévision branchée. Les portes ouvertes. Les rideaux sont tirés mais on peut voir le soleil qui perce. Il fait beau derrière notre phallus. Il a cependant préféré une ballade virtuelle sur internet à une ballade bien réelle dans un parc, autour d'un lac, sur une barque. Passer le temps en l'air plutôt que prendre l'air du temps. Pauvreté de la solitude. F9.

Envie de tenter l'expérience?