Blog de la folie ordinaire



dimanche 28 février 2010

Webradio : Latitudes 8.5



Bac à sable radiophonique des étudiants de la 85ème promotion de l'ESJ, "Latitudes 8.5" est une émission bi-mensuelle. Aujourd'hui c'est l'enfance qui est mise à l'honneur.
Bonne écoute..!!

tilidom.com

Comment la SNCF gagne de l'argent sur le dos des voyageurs



Modèle économique secret, opacité des tarifs, communication minimale,... Tous les moyens sont bons pour rentabiliser les lignes TGV, au détriment des usagers.

« Les tarifs SNCF, c'est un peu comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. » Dans le TGV Paris-Lille, Pierre, jeune actif, préfère en sourire. Il prend régulièrement le train du dimanche soir, à 18 h 58, mais ne paye jamais le même prix. « Je réserve mon billet sur Internet entre une et deux semaines à l'avance, avec ma carte 12/25. Aujourd'hui, j'ai eu un billet à 25,50 euros. Parfois c'est plus, parfois moins ».
Dans la voiture, on compte huit tarifs différents pour dix usagers. Julien, étudiant, a payé 19 euros grâce à sa carte 12/25. Contrairement à Pierre, il a acheté son billet au guichet et à la dernière minute. L'argument de la SNCF, « Plus vous réservez tôt, moins cher vous payez », en prend un coup. Les lignes à grande vitesse en France, c'est d'un côté, des millions d'usagers perdus - et perdants - dans le labyrinthe des tarifs. De l'autre, 900 millions d'euros de bénéfices pour le TGV en 2008. Le fruit de wagons d'astuces, tirés par la locomotive du rendement, qui laissent les voyageurs à quai.

Le yield management, locomotive d'une machine rentable
La France est le pays avec le meilleur taux de remplissage en Europe au niveau des grandes lignes (77 % en 2007). Le succès économique du TGV repose sur le yield management (management du rendement). Né dans la sphère de l'aviation, « le yield management permet de moduler le prix du siège suivant la période et l'horaire du voyage et le fait varier en temps réel en fonction de la demande », détaille la SNCF.
Mis en place depuis 1993, il succède au tarif kilométrique et optimise le taux de remplissage. En 2007, la SNCF passe à la vitesse supérieure : il faut maximiser le prix payé par chaque passager. Nouvelle politique et nouveau découpage. La SNCF crée trois catégories de prix : Prem's, Loisir et Pro.
Les tarifs Prem's, les moins onéreux, sont ni échangeables ni remboursables. La gamme Loisir s'adresse à des voyageurs occasionnels. Les billets de la gamme Pro, les plus chers, permettent de bénéficier de services en gare et à bord du train (échange, remboursement). Cette segmentation dessert l'usager : en 2008, « le prix moyen d'un billet de TGV est de 42 euros, soit 2 % de plus qu'en 2007 ».
Les tarifs sociaux et les cartes de réduction demeurent et l’usager ne s'y retrouve plus. Et pour cause, la SNCF cherche à brouiller les pistes.

Des wagons d'astuces
Premier wagon : on rend le système opaque. La SNCF a créé un service spécifique - et très discret - le Centre d'optimisation commerciale (COC). Cinquante ingénieurs statisticiens définissent à l'avance la répartition des places selon les trois catégories de prix. Une fois les billets mis en vente, ils suivent en temps réel l'évolution des réservations. Forte demande ? Le statisticien réduit le contingent de places Prem's. Faible demande ? Il augmente le nombre de places à petits prix. Le but est assumé : « faire de la SNCF une entreprise rentable en jouant sur les prix pour stimuler les ventes ».
Le Conseil d'Etat a été saisi en 1993 sur la compatibilité entre service public et yield management. Il a donné raison à la SNCF mais lui a demandé « de respecter l'obligation d'information du public, imposée par son cahier des charges ». Un rapport du député UMP Hervé Mariton (2008) rappelle la SNCF à son devoir de service public financé par les contribuables et souligne que « le consommateur a le droit de comprendre. » Le service communication de la SNCF rétorque : « ce qui intéresse les usagers, c'est de connaître approximativement le prix de leur billet, pas le fonctionnement complexe du COC ».

Hervé Mariton avance sept propositions, dont la mise en place d'un prix médian affiché au moment de l'achat, « impossible à mettre en place », selon la SNCF. « Au vu de la façon dont la SNCF présente ses tarifs, on ne sait jamais si on a obtenu le meilleur prix », regrette Jean Lenoir, de la Fédération nationale des usagers des transports (FNAUT).
Depuis, la SNCF a réagi. Elle a publié fin 2008 des guides voyageurs avec des fourchettes de tarifs. Mais elles sont larges : pour un Paris-Lille en seconde classe, le tarif loisir oscille entre 25 et 55 euros.

Deuxième wagon : on supprime des lignes. En 1993, une ligne TGV s'ajoute aux dessertes quotidiennes en train Corail entre Paris et Lille. Les usagers gagnent une heure mais paient plus cher (164 francs pour un Corail contre de 207 à 301 francs pour un TGV, soit une hausse de 26 à 80% - tarif niveau 1). En 2000, la ligne Corail disparaît. « Le maintien de deux offres en parallèle imposait de débloquer des fonds pour renouveler le matériel Corail », justifie la SNCF. Depuis 2007, les nouveaux tarifs SNCF tiennent compte de la concurrence des vols low-cost. L'entreprise a donc baissé ses prix sur les longs trajets, mais pas sur le Paris-Lille.

Troisième wagon : on retire des rames. Pour optimiser le taux de remplissage, la SNCF réduit le nombre de rames. Serge Poiraud, responsable CGT du Collectif technique exploitation, constate que « la SNCF est en sous capacité totale. Pire, le manque de rames en période de vacances oblige le voyageur à différer son départ ou à payer les plus hauts prix. »

Quatrième wagon : on étend les périodes de pointe. Pour Arnaud de Blauwe, rédacteur en chef adjoint de l'UFC Que Choisir, « les périodes de pointe grignotent peu à peu du terrain. Il s'agit d'une véritable hausse déguisée ». Jean Lenoir, de la FNAUT, va plus loin : « Entre 2007 et 2009, le nombre de TGV qui circulent en période de pointe a augmenté de 8 %. »

Cinquième wagon : on discrimine les usagers. Si Internet permet de constater en temps réel l'évolution des tarifs, son accès n'est pas universel. Il n'est pas possible pour tous de différer son départ pour des tarifs plus avantageux. Deux points qui amènent Hervé Mariton à évoquer une « prime à la débrouillardise ».

Sixième wagon : le surbooking. On vend une place « selon disponibilité » au prix de la place souhaitée. La SNCF mise sur l'absence de certains voyageurs au départ du train et vend plus de places que n'en contient une rame. Stéphane passe tout le trajet Paris-Lille debout, dans la voiture bar. Il a pourtant payé 33 euros avec sa carte 12-25. Et il s'emporte : « Il faut arrêter de prendre les gens pour des jambons ».

Il est un secteur où les prix sont fixes : les amendes. Dans le Paris-Lille de Pierre, Julien et Stéphane, le tarif de base est fixé à 55 euros, majoré de dix euros (25 euros si le fraudeur ne vient pas à la rencontre du contrôleur). De quoi nous « faire préférer le train ».